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Les Seigneurs de Saulles
Article mis en ligne le 18 juin 2023

par jpbielmann

Jusqu’à la Révolution de 1789, Saulles et Grenant formaient une paroisse unique. La cure de Saulles n’était que l’annexe de celle de Grenant. Son desservant, un vicaire, exerçait sous le contrôle et l’autorité du curé de Grenant.

En fait, les limites de la paroisse de Grenant maintenaient le souvenir d’une ancienne unité territoriale. Soit plusieurs villas de l’époque carolingienne appartenaient au même propriétaire. La paroisse formait alors une unité cadastrale. Soit les limites de la paroisse reprenaient les limites d’une unité fiscale du Haut Moyen-Âge. Un fonctionnaire subalterne en assurait la gestion. Cette division territoriale s’intégrait à une circonscription plus vaste, le pagus ou comitatus carolingien, l’Attuyer. Son pendant ecclésiastique était le doyenné de Fouvent.

Mais, contrairement à l’Église qui maintint ses circonscriptions dans leur état d’origine, l’État carolingien, en l’absence d’un pouvoir royal fort, vit ses structures politiques et territoriales se disloquer. Des propriétaires s’arrogèrent le droit de gouverner leurs terres et d’y rendre la justice sans que le représentant du roi puisse intervenir. Des fonctionnaires royaux chargés d’administrer les pagi, les comtes, réussirent à transformer la dotation territoriale correspondant à leur honneur en propriété héréditaire. Dans la région, cette déliquescence devait profiter principalement à l’ancienne famille comtale. N’ayant légitimement plus de raison d’être, le titre de comte finit même par disparaître à la charnière du XIième siècle, les nouveaux maîtres préféraient s’affirmer comme les seigneurs du pays. Ils préféraient désormais mettre en exergue le symbole monumental de leur pouvoir, le château. Ils prirent le titre de seigneurs de Fouvent. A l’apogée de sa puissance, cette famille contrôlait une soixantaine de villages.

Au niveau local, les représentants des seigneurs de Fouvent, cadets de la famille ou hommes liges s’affranchirent également des tutelles. Ils devinrent de même des seigneurs. Mais l’émancipation ne fut jamais parfaite. Petit à petit, tout un nuancier de droits et de devoirs se mit en place dans les relations qu’entretenaient les seigneurs avec leurs vassaux. Elles étaient symbolisées par la cérémonie de l’hommage.

Bientôt les seigneuries connurent bien des vicissitudes. Leurs biens, leurs droits et leurs devoirs furent les victimes de partages successoraux et de ventes totales ou partielles. Ce sont ces évènements soigneusement consignés par les représentants des institutions ecclésiastiques qui permettent de connaître une partie de l’histoire de nos villages. Ainsi Saulles sortit de l’anonymat quand, Gui, vicomte de Clefmont, vivant entre 1116 et 1140 et Aimon III DE THIL-CHATEL abandonnèrent leurs biens situés à Saulles aux mains des moines de Cîteaux.

Les érudits du XIXème, dont le célèbre et savant abbé de Fayl-Billot, BRIFFAUT dans son Histoire de la ville de Fayl-Billot et notices sur les villages du Canton, ont cru reconnaître dans une charte de Charles le Gros, empereur d’Occident, datée du 15 janvier 887, la première mention du village et a fortiori de ses seigneurs. En effet, l’empereur, à la demande de Geilon, évêque de Langres, et du consentement de sa femme Rigarde, confirmait une précaire conclue par le chapitre de Saint-Mammes de Langres avec un certain Dodon et sa femme Wandelmode sur des biens situés notamment à Salis aetiam villa dans le pagus Attoariorum. Depuis les travaux d’Alphonse ROSEROT, cette localité est identifiée avec Saulx-le-Duc dans l’actuel département de la Côte d’Or. Ce même auteur rejeta également l’identification de Saulles avec Solarium, cité dans la Chronique de Béze pour l’année 1114.

Au XIIième siècle , le territoire de la paroisse de Saulles et Grenant était très morcelé entre des seigneurs dits dans les siècles suivants « de Grenant et de Saulles en partie ». Ils rendaient toujours hommage à leurs suzerains, les seigneurs de Fouvent, puis quand cette famille s’éteignit au XIIième siècle, à leurs héritiers, les seigneurs de Vergy. Cette situation perdura jusqu’au 18 avril 1460. A cette date, Jean DE VERGY, sénéchal de Bourgogne, vendit tous ses droits sur la seigneurie de Grenant et de Saulles à l’évêque de Langres, Gui BERNAND. Notons que le château de Fouvent et la terre avoisinante dont Saulles et Grenant, étaient déjà tombés temporairement dans la mouvance de l’évêque. Le comte se reconnaissait fieffé de lui en 1017. En 1179, les seigneurs de Fouvent lui cédèrent le libre cours de la monnaie langroise sur le domaine. Mais la seigneurie épiscopale était alors en concurrence avec de puissants seigneurs laïcs comme les ducs de Bourgogne. Ces derniers cherchaient à grignoter des domaines aux dépends des évêques. Ils prirent le contrôle de Fouvent à la fin du XIIième siècle quand l’évêque GAUTIER céda le fief à son neveu le duc Hugues III de Bourgogne. Bref, l’acte de 1460 rétablissait une situation qui avait prévalu deux siècles plutôt. De plus, la suzeraineté de l’évêque sur Saulles et Grenant devenait directe.

De l’ensemble des petits fiefs qui se partageaient les finages des deux localités, deux se distinguaient par l’existence d’un château à Saulles :

La seigneurie du Haut : château situé près de l’église, consistant en une bâtisse quadrangulaire flanquée de deux tourelles. Cette construction existe encore. Notons que les seigneurs disposaient également d’un château à Grenant. Ce dernier fut vendu par leurs héritiers en 1846 à un aubergiste de Chassigny.

La seigneurie du Bas ou de Moucherain : situé près de Saulon, le château actuel toujours habité par des descendants de la dernière famille seigneuriale fut construit en 1761.

Seigneurie du Bas

a. Les DE THIL-CHATEL et leurs descendants

Vassaux du sire de Fouvent, les seigneurs de Thil-Chatel apparurent dans l’Histoire au tournant de l’an 1000. Un siècle plus tard, ils intervinrent dans la seigneurie de Saulles et de Grenant en la personne d’Aimon III qui, avec Guy de Clefmont, vicomte de Bassigny, son beau-frère, abandonna ses biens situés sur le territoire de Saulles aux moines de Citeaux. Tout laisse à croire que cette partie de la seigneurie échut ensuite à la maison hospitalière de Grosse-Sauve, située sur le finage de l’actuelle commune des Loges, puis en 1624 au Chapitre de la Cathédrale de Langres.

Une autre partie de Saulles et Grenant resta dans la famille des seigneurs de Thil-Chatel. En effet, Guillemette ou Willaume, dame de Bourbonne, fille de Guy, sire de Coublanc, et femme de Guy II DE THIL-CHATEL, octroya une lettre de franchise aux habitants de Saulles. Elle les extirpait de leur condition servile de mainmortables pour celle beaucoup plus enviable de bourgeois.

En février 1277, Guy III fils ainé et successeur de Jean (mort le 22 janvier1275) et petit-fils de Guillemette rendit hommage à l’évêque de Langres pour ses fiefs dont Grenant. Au mois de juin de la même année, il reprit encore de son suzerain la maison forte qui y était construite. Ce sire avait épousé Isabelle DE ROCHEFORT. De cette union naquirent Jeanne et Isabelle. Ces dames de Thil-Chatel épousèrent respectivement Thibault et Jean DE ROUGEMONT, tous les deux fils d’un premier mariage du second époux d’Isabelle DE ROCHEFORT, Humbert, sire de Rougemont. A noter que selon certains auteurs, le château de Thil-Chatel reçut le surnom de Trichateau à la faveur d’un partage entre Isabelle et son époux, ses filles et ses gendres (vers 1328). Mais divers indices laissent supposer que ce surnom était plus ancien. Ainsi Guillemette, dame de Bourbonne, était déjà dite dame de Trichatel dans son épitaphe de 1238.

Le fief de Grenant passa, on ignore comment, dans la famille de Guillaume DE ROUGEMONT, un frère de Thibault et de Jean. En effet, sa petite-fille, Perrenelle, fille de Jean, seigneur de Rougemont et de Trichateau, et épouse de Henry DE RYE, seigneur de Corcondray, puis de Gauthier DE BEAUFFREMONT, seigneur de Soye, rendit hommage à l’évêque de Langres en 1401 pour le dit fief.

Bientôt les seigneurs de Thil-Chateau cédèrent la place à une nouvelle famille : les DE DEMANGEVELLES-VY, nouveaux seigneurs de Saulles et Grenant en partie. Peut-être les DE ROUGEMONT avaient-ils vendu une partie de leurs biens.

b. Les DEMANGEVELLES-VY et leurs descendants

Demangevelles eut plusieurs familles seigneuriales successives, qui, toutes relevèrent le nom du château. A la fin du XIII siècle, les DE BOURGUIGNON (Les Conflanz) détenaient la seigneurie. Ils s’éteignirent avec Alix, Dame de Demangevelles et femme de Guy DE VY, bailli-général de Bourgogne en 1340-1342.

Guy DE VY devint presque centenaire, il vivait encore en 1405. Ce fut probablement lui qui prit possession de Saulles et Grenant en partie à la suite de la famille DE TRICHATEAU. Au début du XVième siècle, ses fils Jean et Philippe confirmèrent les franchises octroyées par Guillemette DE BOURBONNE aux habitants des deux communes. Ils intervenaient alors comme suzerains. La propriété directe sur la seigneurie appartenait à leur sœur, Dame Alix DE DEMANGEVELLES-VY, femme de Jean LE VOIGIEN, qui vient après.

A la mort de Philippe, vers 1426, Marie, sa fille unique, transmit les droits à son époux Jean DE CICON, fils de Guyot, seigneur de Chevigny. La famille DE CICON était une ancienne maison de Bourgogne connue depuis le XIIième siècle.

Didier DE CICON, fils du précédent, acquit une grande considération de la part de ses contemporains en guerroyant contre les Anglais et les Armagnacs et dans la guerre de succession de Lorraine. En 1423 il fit hommage au duc de Bourgogne pour ses fiefs et arrières-fiefs. Saulles et Grenant en faisaient partie. Il intervint encore pour cette seigneurie en 1426 comme suzerain. Il mourut le 25 janvier 1458. De son mariage avec Beatrix DE VILLARSEXEL, il laissait Guillaume héritier de la seigneurie de Demangevelle et surtout époux de Catherine de HARAUCOURT-CHAUVIREY [mariage par contrat le 15.01.1458], héritière de la seigneurie de Saulles et Grenant en partie.

***

Alix DE VY-DEMANGEVELLES, née vers 1337, mariée avec Jean D’AUXELLES, dit le « Voigien », écuyer, seigneur de Franois, mort après 1385, reçut la seigneurie de Saulles et de Grenant en partie. Elle la transmit à sa fille Marguerite D’AUXELLES et à son gendre Jean II DE CHAUVIREY-CHATEAUVILLAIN. La maison DE CHAUVIREY était originaire du Comté de Bourgogne. Apparue au XIIième siècle, elle tenait son nom d’un château érigé dans la bailliage de Vesoul. Au début du XIVième siècle, elle acquit la moitié de la seigneurie de Chateauvillain par mariage. Mais cette famille intervint bien plus tôt dans la région qui nous intéresse. En effet, l’ancêtre de l’époux de Marguerite D’AUXELLES, Philippe DE CHAUVIREY, tenait en fief de Jean DE VERGY, sénéchal de Bourgogne, la dime de tout le finage de Grenant et de Saulles en 1283.

De son mariage, Jean II de CHAUVIREY eut deux filles auxquelles il laissa ses biens : Catherine l’aînée qui suit et sa sœur qui entra à la maison de Chauffourt et qui donna naissance à une fille également prénommée Catherine. Cette dernière n’eut pas d’enfant et donna ses biens et ses droits à la fille de sa tante. Catherine l’ainée épousa en premières noces Guillaume DE CHAUFFOURT, seigneur de Marault dont elle eut Catherine épouse de Girard DE HARAUCOURT et en secondes noces vers 1426 Jacques ou Jacquot D’AMONCOURT (mort en 1428) messire de Piepape, seigneur de Piepape, Dommarien et Longeau, veuf de Guillemette DE GORREVOD. En 1426 Catherine et son second mari voulurent donner une charte de franchise à vingt-trois familles de Saulles et Grenant. Mais les droits qu’ils promettaient, étant inférieurs à ceux déjà octroyés par Guillemette DE BOURBONNE, deux siècles auparavant, les habitants refusèrent. Une nouvelle charte fut rédigée et signée le 14 janvier 1426. Les sujets se virent confirmer leurs privilèges. Les seigneurs en ajoutèrent un nouveau « Et s’y pourront nos dits bourgeois et subjets vandre et acheter héritaiges quels qu’ils soient » Cet acte fut confirmé le 30 mars suivant par le suzerain du fief Didier DE CICON. Malheureusement ce document crucial conservé dans les archives de l’Hôtel de Ville de Langres disparut lors de l’incendie de 1892. Catherine mourut le 15 juin 1433 et son corps fut inhumé à l’abbaye de Charlieu, voisine de Chauvirey.

Sa fille Catherine DE CHAUFFOURT, née vers 1403, dame de Chauvirey en partie, de Chatel-dessous et de Saulles et Grenant en partie, épousa Girard DE HARAUCOURT (mort le 01.01.1471), seigneur de Louppy, gouverneur et sénéchal de Barrois et de Lorraine. Âgée de 60 ans en 1463, elle décéda en février 1471.

Une partie de la seigneurie de Grenant et de Saulles passa de l’une de ses filles, Catherine DE HARAUCOURT (morte le 20.11.1489), femme de Jean dit le bâtard de Vergy, seigneur de Richecourt mort en 1457, puis le 15 janvier 1458 de son lointain cousin, Guillaume DE CICON, seigneur de Demangevelles et suzerain du fief, rappelons le, à sa petite-fille Claude ou Claudine DE VERGY (morte août 1505) et à l’époux de celle-ci Etienne BOURGOING, écuyer, prévôt et seigneur d’Isomes (mort en 1541). En 1512, celui-ci régla un différent avec l’évêque de Langres au sujet d’un four banal à Monsaugeon et d’une vente sur les fours, mairie et seigneurie de Grenant.

A la génération suivante, les héritiers se partagent la seigneurie :

Christian BOURGOING (mort le 29.07.1572), écuyer et seigneur d’Isomes, reprit le titre de seigneur de Saulles et de Grenant en partie. Quand Claude CHABOT, sa seconde épouse, dame de Coublanc, de Saulles et de Grenant disparut sans enfant, le fief échut à François REGNIER seigneur de Bussières, Coublanc, Saulles et Grenant en partie qui le vendit le 13 décembre 1586 à Charles DE LORRAINE, duc d’Elbeuf, pair de France. Ce dernier céda ses droits à Charles D’ESCARS, évêque de Langres en échange de Dommarien.

Etienne BOURGOING (mort avant 1573), enfant d’un second mariage d’Etienne, obtint des biens à Saulles et à Grenant dont hérita Gaspart DUBOIS, seigneur de la Rochette, son fils. Ce dernier les échangea le 26 février 1573 contre ce que Jacques MAIGNAN, écuyer, possédait à Prauthoy. Le nouveau propriétaire les revendit dès le 19 juillet de la même année à Madelaine DES RUETZ, dame de Courcelles, qui les céda le 10 février 1584 à François DE SAINT-BLIN.

c. Les SICLIER et leurs successeurs

Au début du XVI siècle, Michel SICLIER, membre d’une importante famille bourguignonne, était dit « seigneur de Saulles et Grenant en partie ». Ses liens et ses droits seraient issus d’une part de l’héritage de Catherine de CHAUVIREY, l’auteur avec son second mari Jacques D’AMONCOURT de la charte de 1426. Pour l’abbé BRIFFAUT, la transmission entre ces deux personnages se serait faite par l’intermédiaire des sires de Chalancey. Malheureusement l’abbé ne donna aucun détail. Nous ignorons notamment si la seigneurie de Saulles et Grenant fit partie de la transaction de 1489 au cours de laquelle Jean de CHATEAUVILLAIN vendit la baronnie de Chalancey, Vesvres et Vaillant à Jean TRAVAILLOT, chanoine et trésorier de la cathédrale de Langres et à son beau-frère Jean RIBOTEAU (mort vers 1496) receveur général de la Bourgogne. A la génération suivante, Jacquette RIBOTEAU (morte en 1530) devint propriétaire des trois quarts de la seigneurie de Chalancey par succession ou par acquisition des parts de ses cohéritiers.

Elle épousa Louis SICILIER, seigneur notamment de Poinson-les-Nogent et Saulxures, receveur général des finances de Bourgogne après son beau-frère, et elle transmit Chalancey à son fils Michel SICILIER, chanoine de Langres de 1514 à 1544 qui, à son tour, donna la seigneurie de Saulles et de Grenant en partie à Françoise SICLIER (morte avant avril 1545), sa sœur. Dès la 01 avril 1544, Jacques D’ORGES, second mari de cette dernière, reprit le fief de l’évêque de Langres. Le 20 juillet 1551, Esmée ROLIN, fille d’un premier mariage de Françoise SICLIER et femme d’Antoine D’ORGES, seigneur de Villeberny, cédait ses droits et ses terres sur la quatrième partie des territoires de Saulles et Grenant pour la somme de 1200 livres tournoises et 24 livres pour le vin à Claude PLUSBEL.

d. Les PLUSBEL et leurs successeurs

Ancienne famille du pays de Langres, les PLUSBEL acquirent leur notoriété par la magistrature et les dignités ecclésiastiques. Le premier représentant connu fut Claude PLUSBEL, notaire et procureur à Langres en 1544. Il était un proche du fameux maire de Langres, Jean ROUSSAT (trois fois maire entre 1586 et 1601) dont il épousa la tante Marguerite ROUSSAT. Après l’achat du fief de Saulles et Grenant, il en fut qualifié de seigneur lors de la convocation du ban et de l’arrière-ban du bailliage de Sens en 1555.

Son fils Christophe PLUSBEL, écuyer, lieutenant particulier du bailliage de Langres, avait donné un dénombrement de sa terre de Grenant dès le 20 avril 1550. Peut-être s’agissait-il d’un fief acquis par la famille PLUSBEL d’un certain Pierre NOIROT en 1535. Nous en ignorons la provenance. En 1577, la veuve de Christophe PLUSBEL, Gillette PETIT (morte le 13.12.1618), fille d’un lieutenant du Duc de Guise et garde des clés de la ville de Langres, reprit le fief de l’évêque. L’acte du dénombrement nous apprend que les seigneurs en partie de Saulles et Grenant détenaient les droits de haute, moyenne et basse justices, que les sujets étaient taillables à volonté une fois par année, le jour de la Saint Remy et qu’ils devaient deux corvées de bras, que les laboureurs étaient astreints à trois corvées de charrue... Le fief passa ensuite à Antoine PLUSBEL (né vers 1567, mort le 03.02.1648) puis à son fils Henri PLUSBEL (25.09.1612 - 07.12.1683), conseiller du roi, juge-magistrat au siège présidial de Langres après son père. A la génération suivant, Henri PLUSBEL devint un chanoine important (03.11.1650 - 07.01.1726). A son décès, on l’inhuma dans la cathédrale de Langres. Le seigneur de Saulles et de Grenant en partie était son frère Jean PLUSBEL (03.02.1648 - 09.09.1736) époux de Barbe MAIGNAN, issue de la famille de Jacques MAIGNAN, l’un des protagoniste de l’échange du 26 février 1573. Jean fut maintenu dans la noblesse par une ordonnance de l’Intendant de Champagne le 16 août 1704. Il eut dix enfants dont Madeleine qui devint la grand-mère de Jean Baptiste GIRARD DE CHAMBRULARD, le fondateur de la salle d’asile de Langres et Henri, seigneur, qui suit.

Henri PLUSBEL (1684 - 24.04.1762), deuxième du nom reçut le qualificatif de « seigneur haut justicier de Saulles et en partie de Grenant » dans l’Armoirial général de D’HOZIER (1762). Il se maria le 22 octobre 1712 avec Charlotte GIRARD-DE-CHAMBRULARD dont il eut Jean-Charles PLUSBEL écuyer, seigneur de Saulles et de Grenant, chanoine de la cathédrale (1731-1765), chapelain de St Martin de Langres et confrère de St Didier. En 1761, il fit bâtir le château de Moucherain tel que nous le connaissons aujourd’hui. Jean-Charles décéda le 22 mars 1765. Son frère Bénigne, mousquetaire noir, ayant été assassiné le 3 janvier 1738 de deux coups de fusil au cours d’une battue par le louvetier Jean Claude BRIARD « paysan brûlaï et violent », le fief échut à leur sœur Barbe Nicole PLUSBEL (03.10.1713 – 12.11.1782). Elle l’apporta à son mari Claude Joseph GIRAULT, chevalier, seigneur de Vitry, Essey-les-Eaux, Chamoilles (18.04.1703-20.07.1788).

Des six enfants du couple, seules deux filles survécurent :

Rosalie GIRAULT. Elle épousa en 1771 Claude PIETREQUIN, seigneur de Prangey. Philibert-Joseph GIRAULT connu sous le nom de GIRAULT-DE-PRANGEY, artiste peintre, l’un des fondateurs de la Société Historique et Archéologique de Langres, était son petit-fils.

Barbe Nicole GIRAULT. Elle convola également en 1771 avec Charles Joseph, comte DE ROSE (1741-1815) capitaine du régiment de Lorraine, chevalier de St-Louis. Originaire vraisemblablement de Ligny (1340), la famille DE ROSE intervint à Chaumont au XVIeme siècle puis acquit l’importante seigneurie de Dammartin en 1701. En 1781, Barbe Nicole, dame de Vitry, ses filles et ses gendres portaient tous le titre de seigneurs dans une sentence arbitrale relative aux droits respectifs de tous les seigneurs de la paroisse. Pourtant, il apparaîtrait que Barbe et son mari Charles Joseph DE ROSE avaient acheté des autres héritiers de Mme de Vitry les terres de Saulles et Grenant dès le 2 mai 1780.

La seigneurie du bas et ses seigneurs disparurent quelques années plus tard avec la Révolution. Mais leur famille survécut. En 1801, Rosalie Gabrielle de ROSE fille de Barbe épousa, à Saulles, Jean Baptiste Charles Emmanuel DE TRICORNOT, d’une maison noble du pays de Gray en Franche-Comté. Leurs descendants habitent toujours le château.

La seigneurie du Haut

a. La maison DE GRENANT

Au XIIième siècle, l’autre partie de la seigneurie de Saulles et Grenant appartenait à une famille de potentats locaux, aussi vassaux des sires de Fouvent. Ses membres se réclamaient d’une maison forte probablement sise dans la paroisse. En 1135, Arnaud DE GRENANT, seigneur du lieu, remit à l’abbaye de Belmont ce qu’il possédait à Celsoy. En 1176, un autre seigneur, Ulrich, fit de même avec des biens situés à Bussières. Malheureusement, les données manquent pour établir une généalogie complète de cette maison. Au XVeme siècle, le fief était aux mains de Perceval DE GRENANT, fils de Guillaume, un écuyer de la duchesse de Bourgogne, et d’une Dame de Recey. Chanoine de Langres de 1439 à 1488, ce personnage tenait des seigneuries étendues sur une vingtaine de villages. En 1475, il rendit hommage au Roi pour Damphal, Lecourt, Neuilly, Le Pailly et Violot. En 1487, il reconnut les droits du Chapitre de la cathédrale de Langres sur le Pailly. Après lui, ses sœurs, Jeanne et Catherine DE GRENANT, épouses respectives de Thibault DE GRAMMONT et de Jean DE DOMMARIEN, se partagèrent les fiefs.

b. La maison D’ANGLURE

Jean DE DOMMARIEN, écuyer, hérita de la plupart des seigneuries de son beau-frère avec, entre autres, quelques droits sur Saulles et Grenant. A la génération suivante, son fils, également prénommé Jean, tint aussi ce fief en partie, nous en reparlerons. Une fraction de l’héritage passa probablement à Catherine DE TRESTONDAM, mariée le 05 janvier 1455 à Ferry DE SAINT-LOUP et dont la mère Henriette DE SAINT-SEINE, était dite veuve en premières noces de Jean de DOMMARIEN. S’agissait-il du même personnage ? Les archives sont trop parcellaires pour donner une réponse définitive à ce sujet. Bonne DE SAINT-LOUP (morte en 1524), Dame de Coublanc, St-Loup, Maatz, Grenant et Saulles en partie et de Balesme, fille de Catherine DE TRESTONDAM et de Ferry, épousa Arnoul D’ANGLURE (mort vers 1513), seigneur de Charmes près de Toul, qui, en 1455, donna le dénombrement à l’évêque de Langres des fiefs apportés par sa femme.

Jean D’ANGLURE, leur fils, figura avec sa qualité de seigneur de Saulles et de Grenant en partie dans le procès verbal de la montre de Sens, le 15 juillet 1542. Il fit rédiger un manuel des baux de ses biens et droits vers 1558. Son exemple fut imité par sa veuve Catherine D’AUTRY vers 1568 [G657] puis par leur enfant, François D’ANGLURE, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, marquis de Coublanc et comte de Passavant vers 1580 .

Cette partie de la seigneurie de Saulles et Grenant tomba dans les mains de l’évêque de Langres quand ce dernier se rendit adjudicataire, le 4 septembre 1675, des terres et seigneuries saisies sur Françoise DU CHATELET, veuve de René Saladin D’ANGLURE (mort en 1664), fils du précédent.

La maison D’ANGLURE était originaire du village du même nom situé dans l’actuel département de la Marne.

c. La maison DE GRAMMONT

Ancienne maison de Franche-Comté, les GRAMMONT étaient issus des DE GRANGES par Guillaume, qualifié de « fils de Guyot DE GRANGES » dans un acte de 1278. Ce personnage acquit la totalité de la seigneurie de GRAMMONT en échangeant les terres d’Uzelles, apportées en dot par son épouse Isabelle, contre celles que les prieurs et religieux de Marast détenaient à GRAMMONT. Du couple fondateur, le lignage se divisa en huit branches qui toutes gardèrent le même nom. Les GRAMMONT de la branche de MELISE-VILLERSEXEL intervinrent à Saulles et Grenant avec Thibault, chevalier, seigneur de Gesans, à la faveur de son mariage avec Jeanne DE GRENANT, héritière en partie du fief, en 1443. Il serait mort après 1486. Saulles et Grenant échurent à Perceval, son fils ainé (mort en 1515), puis à ses petits-fils Guillaume et Antoine DE GRAMMONT.

Antoine, également seigneur de Gesans, perdit ce fief en 1588. Il laissa deux enfants Jean et François qui disparurent sans descendants.

Son frère et héritier, Guillaume, prit pour femme Anne DE CICON, fille de Nicolas, seigneur de Ranconnieres, arrière-petite-fille de Didier DE CICON et DE DEMANGEVELLE, suzerain de la seigneurie du bas de Saulles, et soeur de la seconde épouse de Jean DE DOMMARIEN, seigneur du Pailly, le fils de Catherine de GRENANT. Ce mariage lui permit vraisemblablement de plaider sa cause auprès de Gaspart DE SAULX, ayant-droit des héritiers du seigneur du Pailly et donc seigneur de Saulles et Grenant. Vers 1542, Guillaume DE GRAMMONT racheta cette partie du fief comme l’indique le procès-verbal de la montre de Sens. Il disparut aux alentours de 1592.

François de GRAMMONT, fils du précédent, possédait les seigneuries de Coublanc, Dommartin, Cusey, Selongey et Saulles et Grenant en partie. Le 1er novembre 1579, il fut tué lors d’une partie de chasse à Selongey et inhumé en la chapelle de la Vierge dans l’église de Grenant. Sa dalle funéraire a été transférée au cours du XIXeme siècle au musée de Langres où elle se trouve encore.

Ses enfants, Anne, dame de Grenant et épouse de Gilbert DE DAMAS, seigneur de Plantals et Jean de GRAMMONT, nés de Bonne de MELIGNY, cédèrent leurs biens et leurs droits sur la seigneurie de Grenant et de Saulles qui échut bientôt à Claude NOIROT.

d. Les NOIROT, ROBERT et BOURNOT

La famille NOIROT, apparue dès le XVeme siècle dans la région de Langres où elle occupait un rang de notable, ne nous est pas inconnue. Souvenons-nous que Pierre NOIROT vendit des biens situés à Saulles aux PLUSBEL en 1533. Claude NOIROT était son descendant à la quatrième génération. Il fut qualifié de « Noble Claude NOIROT, écuyer, seigneur de Grenant et Saulles » dans le registre des audiences du bailliage de Langres en 1641. Mais une partie des droits seigneuriaux lui échappa. Le 8 janvier 1647, il dut reconnaître que l’évêque détenait seul la haute justice sur Saulles et Grenant. Peut-être l’avait-il acquise d’Etienne ROBERT. Ce personnage avait acheté une partie du fief le 15 janvier 1609 avec la haute, moyenne et basse justices sur les sujets et les forains de Saulles, de Grenant et de Grosse-Sauve pour tous les actes commis sur les finages des deux communes. Il nommait aussi aux charges de juge, lieutenant, prévôt d’office, greffier et sergent. Ses sujets devaient notamment lui fournir une poule à Carême prenant, des corvées de charrue, de faucille, de faux et de fourche et cuire leur pain dans le four banal lui appartenant. Tous ces droits figuraient dans le dénombrement remis à l’évêque le 8 juin 1619.

Claude NOIROT avait épousé vers 1624 Marguerite VOINCHET dont il eut Robert.

Robet NOIROT, seigneur de Saulles et Grenant en partie, était qualifié d’écuyer au ban et arrière-ban entre 1674 et 1694. Il vendit sa part du fief, probablement située à Saulles, à Denis PROFILLET.

Marguerite, sa sœur, épousa vers 1650 le conseiller du roi, président en élection de Langres, Pierre BOURNOT, seigneur par elle de la quatrième partie de la seigneurie de Saulles, Seuchey et Grenant. Pierre BOURNOT mourut en 1682 et cette partie du fief fut vendue au même Denis PROFILLET.

E. Les PROFILLET et leurs successeurs

Famille originaire de Montsaugeon, elle s’installa à Langres au XVIIIeme siècle. A l’exemple des PLUSBEL, elle gagna de l’influence par la magistrature et les fonctions ecclésiastiques. En 1683, Denis PROFILLET (1621-1699), avocat, juge des domaines de l’évêque, receveur des épices et receveur du chapitre rendit hommage à l’évêque de Langres pour Saulles et Grenant en partie, fief qu’il avait acquis des NOIROT et des BOURNOT. Quelques années plus tard, il acheta des seigneuries à Cusey, Chevilly et Darderay.

De son épouse Marguerite FAVREL, fille d’un maître boulanger de Langres (1633-1713), il eut notamment Denis PROFILLET, auteur de la branche des seigneurs de Dardenay, et époux de Marie TURQUET, petite-fille d’Henri PLUSBEL de Saulles, et Richard PROFILLET, échevin de Dole, auquel revinrent Saulles et Grenant.

De Richard PROFILLET, écuyer (mort à Grenant le 24.09.1754), la seigneurie passa à son fils Christophe. Ce dernier naquit à Langres le 09 février 1700. Par son mariage avec Marie Élisabeth D’ORIGNY (10 mai 1728), il devint également seigneur de Grandchamp et il acheta la charge de bailli ducal de Langres pour 30000 livres et, en 1758, une maison canoniale de Langres. Celle-ci resta dans la famille jusqu’en 1821. Christophe PROFILLET mourut à Grenant le 5 novembre 1771. Il fut inhumé dans la chapelle lui appartenant située à côté du chœur de l’église du lieu. Son fils Thomas (1770- An III) reçut en héritage la seigneurie de Granchamp tandis que Saulles et Grenant furent partagés entre ses deux filles Marie Rémonde (04.10.1732 - 01.07.1800) et Marie Bernarde (02.07.1741 - 04.02.1782). Elles épousèrent deux frères natifs de Conflans dans les Vosges, tous deux officiers dans les Armées du Roi, Joseph Michel de THOLOMESE DES TOURNELLES (01.02.1750 - 21.03.1795) et Antoine Martin de THOLOMESE DE PRINSAC.

Marie Rémonde PROFILLET fut la marraine de la deuxième cloche de l’église de Grenant. Elle n’eut pas de descendance.

Le mari de Marie Bernarde, dite Corisande, émigra le 09 septembre 1792. Ses biens furent saisis. Il mourut le 14 février 1796 à Dietz. L’unique enfant du couple, Marie Élisabeth THOLOMESE DE PRINSAC, née le 24.01.1782, épousa le 07 avril 1798 Sébastien Marc PLIVARD DE L’ETANG (06.09.1777 - 11.05.1842). Elle fut la marraine de la grosse cloche de l’église de Grenant refondue en 1827. Elle mourut dans la première catastrophe ferroviaire en France survenue le 08 mai 1842 à Meudon. Ses héritiers vendirent le château de Grenant peu de temps après.

Ainsi s’achève la petite histoire de la Seigneurie de Saulles et de Grenant et de ses seigneurs. De partages en ventes, le fief changea bien des fois de nobles mains. La charnière des XVIeme et XVIIeme siècles marqua une césure importante. D’une noblesse d’épée, héritière des maisons féodales, la seigneurie échut à des familles en pleine ascension, enrichies par le commerce et anoblies par l’accaparement des fonctions magistrales et ecclésiastiques de Langres, des familles dites de la noblesse de robe. La convocation des États Généraux de 1789 et la nuit du 4 août sonnèrent définitivement le glas d’un système qui avait prévalu depuis l’an 1000.

Jean-Pierre BIELMANN, 2009


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